Rencontre avec Rémy Verdo, directeur des Archives municipales de Toulouse
Plusieurs collectes de témoignages réalisées par Bird pour les Archives municipales de Toulouse ont déjà été présentées sur ce site. Elles nous ont amené à explorer divers thèmes : l’architecture, une histoire ouvrière, syndicale et culturelle avec l’usine JOB, et la photographie argentique avec Jean Dieuzaide. Je pourrais vous en présenter 2 nouvelles, l’une sur l’exil républicain espagnol menée en 2020, et la seconde sur le quartier Marengo à Toulouse menée en 2021. Ces collectes ont été menées sur le même modèle et avec la même méthodologie que les précédentes. Mais plutôt que de vous les présenter, je vous invite à les écouter et à vous immerger dans ces témoignages. C’est par ici !
Vous allez à la fois découvrir des témoignages qui nous rappellent des heures difficiles de l’histoire, qui nous amènent à mieux appréhender ce qu’est l’exil, et dans le même temps qui nous ouvrent une porte sur la communauté espagnole à Toulouse.
Et vous serez également plongés au sein de témoignages qui semblent plus quotidiens et familiers, et qui permettent de conserver ce qui constitue une vie et une identité de quartier ainsi que l’évolution du quartier Marengo, de son urbanisme et de sa vie sociale.
Dans cet article, j’aimerais davantage dresser comme un bilan. Un bilan des différentes collectes d’archives orales réalisées pour les Archives municipales de Toulouse ces dernières années, et ce afin de comprendre les motivations à recueillir des témoignages et les résultats de tels projets pour un service d’archives publiques territoriales.
Pour cela, nous avons rendez-vous avec Rémy VERDO, directeur des Archives municipales de Toulouse.
Pourquoi faire régulièrement réaliser des collectes d’archives orales ? Quels sont les objectifs et les attendus de telles collectes ? Et qu’est-ce qui motive vos choix de sujets lorsque vous lancez une collecte d’archives orales ?
De manière pragmatique, il y avait du budget et des opportunités. Lorsque je suis arrivé à la tête des Archives municipales de Toulouse, très peu de campagne d’archives orales avaient été réalisées (une seule auprès de Maurice Prin au sujet de la restauration du couvent des Jacobins). Ça avait donc à peine débuté.
Les différents projets de recueils de témoignages ont vu le jour du fait de notre actualité, en lien par exemple avec des collectes d’archives. Ça a été le cas du recueil de témoignage auprès des architectes de l’Atelier 13 : les 2 acteurs étaient là, présents, et partants pour livrer leur témoignage. Cette situation est rare. Souvent on arrive « après la bataille » : les acteurs et producteurs d’archives collectés ne sont plus de ce monde. C’était une réelle opportunité que de pouvoir recueillir leur parole. Cela était aussi l’occasion de leur faire honneur et de faire preuve de reconnaissance envers eux. Ils étaient ravis, cela a fait comme partie de la « négociation » autour du dépôt de leurs archives. Enfin cette démarche permet de rendre accessible aux chercheurs un « dossier » complet : les archives accompagnés du témoignage oral.
Les autres recueils de témoignages ont également été réalisés du fait de l’actualité. Sur le sujet de l’exil espagnol, il y avait des demandes politiques. Sur celui de Jean Dieuzaide, on était dans le contexte de la cession du fonds à la ville de Toulouse. Mais au final la collecte n’a pas été réutilisée lors de l’exposition consacrée au sujet. Enfin, concernant l’histoire de Job, il n’y avait pas de commande politique précise, mais le sujet importait : le recueil de témoignages a apporté, de la part de la mairie de Toulouse, une forme de reconnaissance à cette histoire et à ces acteurs. La mission et la démarche des Archives municipales, c’est aussi de créer ce lien et cette forme de reconnaissance.
Qu’est-ce que ces archives orales apportent à une institution comme la vôtre ?
Les apports se situent à plusieurs niveaux. En interne d’abord : les témoignages collectés apportent de l’information sur des sujets importants, notamment pour tout nouveau collègue qui intégrerait les Archives municipales. Cela permet d’en apprendre davantage sur un sujet en alliant l’utile à l’agréable. Si je venais d’arriver et que j’avais une demande en salle de lecture ou d’un public particulier (écoles ou autres) et que je ne connaissais pas du tout le sujet, alors très rapidement j’irais écouter les témoignages.
L’apport des témoignages collectés se situe aussi au niveau du grand public. Les témoignages sont mis à disposition et à l’écoute sur internet. Nous pourrions néanmoins œuvrer davantage au niveau de leur « publicité » et de leur valorisation.
Cependant, les témoignages collectés demeurent une matière qui nous échappe. Elle a été capturée à temps et c’est déjà beaucoup : souvent on arrive trop tard et on se dit « on aurait dû, il y aurait dû y avoir recueil du témoignage d’un tel ou d’une telle ». Les témoignages collectés sont des matériaux de bonne qualité. La frustration, c’est de ne pas mieux aller au-devant du public pour les valoriser. Mais notre conviction est qu’un jour un projet médiatique saura s’en emparer.
Par exemple, si l’on veut comprendre et mettre en valeur des vies de quartier, la première matière dans laquelle on ira puiser ce sera l’oralité (et notamment la dernière collecte réalisée sur le quartier Marengo). On y est directement plongé dans la dynamique des quartiers et dans ce qui crée leur identité. Toulouse est une ville qui a beaucoup évolué et grandi. Les identités s’affirment au niveau des quartiers. Les maires de quartier sont notamment là pour faire davantage vivre, et de manière plus sentimentale, ces quartiers. On assiste à une reconfiguration de l’administration et à un renforcement de la proximité. Et une question, peut-être un peu bateau, se pose : une métropole, des identités ? Cette prise de conscience semble se réalisée en retard. Or d’un point de vue culturel et politique cette question est primordiale.
Notre travail en tant qu’archivistes se compare à une éternelle anticipation : anticiper les problématiques, anticiper tant que les témoins sont encore vivants, d’autant que les archives papier sont souvent un peu sèches car très administratives. Les témoignages oraux ont ce pouvoir d’apporter du liant et une épaisseur humaine. Notre démarche est un peu ingrate : il s’agit d’évaluer l’intérêt pour l’avenir (qui se révèle parfois très tard). L’histoire du temps présent est aussi de l’histoire. Mais souvent on perçoit que « ça peut attendre, ce n’est pas important » et on ne prend pas le soin de sauvegarder. On n’a pas toujours conscience à l’instant T de l’importance de tel ou tel sujet, de tel ou tel témoin ou groupe d’acteurs. Et c’est après coup, une fois que c’est détruit ou disparu, que la demande arrive et là, parfois, si je caricature, on ne peut plus faire qu’une exposition où l’humain apparaît en filigrane. Il nous faut donc anticiper sans attendre une reconnaissance immédiate.
Pourquoi faites-vous le choix que ces témoignages soient filmés (et pas seulement sonores) ? Qu’apporte la vidéo selon vous ?
Les témoignages filmés sont plus agréables pour le grand public. Le témoin est dans un décor, au mieux dans « son » décor, à domicile. Le témoignage est alors d’autant plus accessible. Certes le témoignage oral, au niveau scientifique, suffirait, mais il serait trop abrupt. En vue des divers publics que nous ciblons, nous sommes invités à ne pas réaliser les collectes de témoignages de manière trop frustre, c’est pourquoi la vidéo prend tout son sens.
Quels sont les résultats des collectes d’archives orales réalisées ? Avez-vous eu des retours, de vos lecteurs par exemple (sur internet ou en salle), sur l’une de ces collectes ? Quels sont-ils ?
Nous n’avons aucune visibilité sur d’éventuels résultats de ces recueils de témoignages. Et nous ne travaillons pas le sujet non plus. Les témoignages sont accessibles sur le site internet mais les équipes vont d’urgences en commandes et n’ont pas le temps de dynamiser à leur guise la diffusion des contenus, et notamment des témoignages collectés. On voit qu’il y a encore peu de consultations (en terme de nombres) sur les différents témoignages mis en ligne. Pour le moment, nous sommes dans la phase de constitution, de recueil, car les opportunités sont là. Mais un jour, nous l’espérons, ce travail pourra être repris et davantage valorisé.
Et si vous pouviez améliorer un point, en amont ou en aval des collectes, ce serait lequel ? Quel serait votre rêve ou votre envie principale au sujet des recueils de témoignages ?
Idéalement, si nous étions libérés de toutes contraintes de temps, de budget et de projet, je prendrais une carte de Toulouse et je ferais une liste de quartiers : quels sont les lieux de la ville qui ont le plus évolué (notamment les zones d’aménagement urbain en cours et récents) ? Même si les témoignages pourront être en partie négatifs sur certains quartiers et les évolutions qu’ils ont connues, le jour où ces questions seront dépassionnées, il serait alors très bénéfique de disposer du ressenti des populations sur ces changements. La limite de l’exercice, c’est que nous ne sommes pas des scientifiques indépendants.
J’imagine une synthèse « Toulouse et ses quartiers : 1001 témoignages ». Il y aurait certainement des chapitres un peu tristes, mêlant regrets et incompréhensions. La ville de Toulouse est un territoire très ancien avec une identité ancienne centrée sur la commune, et cette identité se morcelle, avec l’extension démographique et géographique, se ramifie, avec les quartiers et la constitution de la métropole, englobant les communes alentours. J’imagine pouvoir interroger les anciens habitants en leur montrant des documents : des cartes par exemple, pour capturer leur réaction et leur ressenti à leur vue.
Le mot « territoire » est partout : appliqué à la verdure, à l’aménagement, et ces termes résonnent avec l’urgence d’expliquer ce qui se passe depuis une trentaine d’années. A mon avis, il y a un vrai avenir pour les collectes de témoignages comme aide à la réflexion sur la vie des quartiers et du territoire.
Voilà de complexes mais riches perspectives pour les recueils de témoignages, parmi tant d’autres. L’exemple des Archives municipales de Toulouse nous montre également que le moment de la constitution des fonds d’archives orales et le moment de leur valorisation peuvent être des phases distinctes sur le temps long. Surtout, les recueils de témoignages se révèlent être des projets nécessitant de saisir des opportunités et de travailler l’anticipation au niveau du choix des sujets de mémoire à aborder en prévision des questions d’avenir d’un territoire et/ou d’une institution, et ce avant que des pans d’histoire ne disparaissent.
Un très grand merci à Rémy VERDO pour ces échanges et réflexions.