De l’importance de documenter les archives orales : l’exemple du CEA

Le CEA, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, fondé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est un organisme public et un acteur majeur de la recherche, du développement et de l’innovation. En 2019, il œuvre dans quatre domaines : la défense et la sécurité, les énergies (nucléaire et renouvelables), la recherche technologique pour l’industrie et la recherche fondamentale (sciences de la matière et sciences de la vie). Implanté sur 9 centres en France, son expertise est largement reconnue. Ayant établi de nombreux projets avec des partenaires tant académiques qu’industriels en France et à l’étranger, il peut s’appuyer sur le savoir-faire de milliers d’ingénieurs-chercheurs.

Le Service archives du CEA et sa politique de collecte d’archives orales

Au sein du CEA, le Service archives a pour mission de coordonner la gestion des archives dans les différentes unités. Sélectionner, collecter, conserver, classer et inventorier sont ses maîtres mots. En tant qu’établissement public, le CEA a une obligation de constitution d’un fonds d’archives historiques et, du fait de la convention qu’il a passé en 1985 avec l’administration des archives de France, c’est à lui qu’incombe leur conservation et leur communication. Le Service archives répond aux demandes de recherche et de consultation, qui proviennent à la fois de salariés du CEA comme de publics extérieurs. Le Service archives a également mis en place une politique de collecte d’archives orales. Les premiers témoignages enregistrés ont eu lieu entre 1985 et 1987. Il s’agissait de recueillir le témoignage de grands scientifiques et de dirigeants du CEA. Il n’a ensuite plus été question de ces collectes jusqu’à l’approche du 50ème anniversaire de la création du CEA célébré en 1995. A ce moment-là des témoignages de personnalités importantes du CEA ont été enregistrés. Enfin, à partir de 2011, la campagne d’archives orales a pris un nouveau tournant : il s’agit d’une collecte de témoignages filmés, fondée sur une grille systématique s’appuyant sur le récit de carrière du témoin, et s’intéressant tant aux dirigeants et personnes importantes du CEA qu’aux différentes activités passées ou actuelles de l’organisme. C’est une campagne d’archives orales transverse qui s’établit dans le temps. L’enjeu pour le Service archives est de créer des archives complémentaires à celles produites par ses services, de réussir à retracer l’évolution des métiers, et de pouvoir constituer une mémoire interne. Il est également très important pour le Service archives de créer des sources permettant de recueillir – et de conserver – des aspects touchant à la dimension humaine et au ressenti des personnels sur les évolutions organisationnelles qui ont fait l’histoire de la maison CEA : la subjectivité a ici sa place et toute sa valeur. 

En 2019, le fonds est composé de 135 témoignages, dont plus d’une centaine ont été filmés depuis 2011. La cheffe du Service archives du CEA mène les entretiens, et un technicien audiovisuel du Service archives gère la captation audiovisuelle et sonore (deux caméras sont utilisées : une pour filmer le témoin et la seconde pour filmer l’interviewer). Comme toutes les archives conservées au Service archives, les archives orales collectées ont vocation à être consultées, en fonction des délais de communicabilité prescrits. Or, par manque de temps et de personnel, mais aussi pour ne pas interrompre la dynamique de collecte et pouvoir solliciter les témoins les plus âgés, le nombre de témoignages recueillis augmentait mais la documentation de ces témoignages n’était pas réalisée. Il devenait urgent de faire un retour au témoin sur leur contribution et de rendre le fonds plus accessible en créant les outils d’aide à la consultation. 

La documentation des archives orales réalisée par BIRD

C’est ainsi que le Service archives du CEA a fait appel à BIRD afin qu’une fiche chronothématique soit établie pour chaque témoignage sur le modèle de ce qui avait pu être fait pour les premiers témoignages par le Service archives du CEA en 2000. Depuis 2017, Anaëlle Guérin a ainsi documenté 90 témoignages. Cette documentation prend la forme d’une fiche chronothématique. Celle-ci permet d’établir le contexte de la captation (qui a mené l’interview, dans quel cadre (campagne systématique, anniversaire), à quelle date et à quel endroit, avec quel dispositif technique, mais également d’identifier et de caractériser le témoin (date et lieu de naissance, formation, parcours professionnel au CEA et en dehors). Cette fiche est complétée de plusieurs autres champs : avec les éléments d’identification du témoignage et du témoin déjà cités, s’ajoutent le chapitrage du témoignage (avec time-code, titre et résumé) et quatre index (noms, lieux, structures, thématiques). La documentation est essentielle pour une collecte d’archives orales : elle permet, au-delà de l’établissement d’un inventaire de la captation des témoignages, de documenter chaque témoin et témoignage pour que toute personne recherchant des éléments ayant trait à un thème plus ou moins précis puisse retrouver quels témoignages (et même quels extraits de témoignages) pourraient l’intéresser. Ce travail permet aussi et surtout de contextualiser la nature et l’apport du témoignage. Pour le CEA l’étape suivante serait d’intégrer le contenu des fiches chronothématiques dans sa base de données (ou dans une base de données complémentaire) permettant ainsi une recherche encore plus simplifiée et plus rapide. Le CEA a tout cela en tête, mais chaque chose en son temps ! Le traitement réalisé par BIRD a également été l’occasion pour le Service archives du CEA de reprendre, avant mise à disposition de BIRD, les fichiers sources des témoignages et de les monter. En effet, le Service archives du CEA a fait le choix de proposer des archives orales construites : un montage simple est réalisé pour insérer un générique d’introduction et de fin, ainsi que quelques images filmées de l’interviewer afin de rendre plus vivant l’ensemble du témoignage.

Grâce au travail de collecte d’archives orales effectué par le Service archives du CEA et le travail de documentation mené par BIRD, le CEA détient un fonds d’archives orales riche, diversifié et documenté qui n’attend qu’à être exploité. Les témoignages sont consultables sur demande au Service archives, en salle de lecture, et en fonction des contrats de communicabilité signés par les témoins. Différents témoignages ont déjà été consultés et utilisés pour leur apport essentiel. A titre d’exemple, on peut citer les témoignages collectés à l’occasion des 25 ans de la DSV (Direction des sciences du vivant, créée en 1990 et dont l’histoire s’enracine dans l’histoire globale du CEA depuis sa création) : ces témoignages ont apporté des éléments importants utilisés lors de la rédaction d’un ouvrage publié sur l’atome et le vivant*. Par ailleurs, de courts montages audiovisuels sont également effectués en interne afin de valoriser ce fonds d’archives orales et de mettre en lumière telle ou telle thématique. Dans le cadre de la Fête de la Science 2018, un court film a ainsi été réalisé sur le choix des études scientifiques effectué par les témoins afin de valoriser ces études actuellement en désaffection auprès des enfants et scolaires. Et bien sûr l’histoire de la constitution du fonds d’archives orales du CEA et de ses utilisations se poursuit.

* Pascal Griset, Jean-François Picard, L’atome et le vivant : histoire d’une recherche issue du nucléaire, préface par André Syrota, Paris : Cherche midi, 175 p.